Exigez avec nous que l’accès à l’éducation soit détaché du statut d’immigration
23 avril 2014, Montréal
Aux élu-e-s à l’Assemblée nationale.
Il est des exceptions qui sont de véritables hontes ou qui devraient l’être. C’est le cas de la scandaleuse réalité des milliers d’enfants et d’adolescents sans papiers exclus des écoles d’ici en raison des exigences administratives que leur imposent les États canadien et québécois pour leur reconnaître un statut migratoire. De tous les États nord-américains où de grandes régions métropolitaines comptent un nombre important de migrants placés de force dans l’illégalité par des systèmes d’immigration et d’asile de plus en plus inhospitaliers et violents, c’est le Québec qui met le plus d’obstacles sur le chemin de l’école et de la scolarisation des sans-papiers qui vivent parmi nous. Ainsi, de nombreux êtres sont privés de l’accès à ce lieu essentiel au développement cognitif, intellectuel et social.
Aux États-Unis, une telle exclusion est considérée comme une violation de l’« égale protection de la loi » garantie par la Constitution. En Ontario, la Loi sur l’éducation reconnaît que « toute personne âgée de moins de dix-huit ans ne doit pas se faire refuser l’admission parce qu’elle-même ou son père, sa mère ou son tuteur se trouve illégalement au Canada ». En Europe, sauf exception, aucune législation nationale ne discrimine, sur la base du statut d’immigration, les personnes qui ont droit à l’éducation et celles qui n’y ont pas droit.
Si la honte doit embarrasser des gens au Québec, ce n’est pas la population comme telle, qui n’est souvent pas au courant de cette réalité, mais bien les personnes qui la connaissent et qui, occupant des postes de pouvoir comme vous, n’agissent pas pour corriger véritablement la situation. Ce problème persistera tant qu’on ne touchera pas à la Loi sur l’instruction publique qui stipule que seuls les résidents légaux (et certaines catégories de migrants) ont droit au service gratuit de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignement primaire et secondaire. Les successifs ministres de l’Éducation et les récents premiers ministres ne peuvent pas dire qu’ils et elles n’étaient pas au courant.
« L’attention du Ministère »
Dans les deux dernières années, le Collectif éducation sans frontières a fait pression sur certaines commissions scolaires montréalaises disant « se préoccuper que toute personne jeune ou adulte puisse avoir accès aux services éducatifs auxquels elle a droit quels que soient ses besoins particuliers ou sa situation géographique ». S’ils disent vouloir réaliser ce mandat, la plupart des commissaires auxquels nous avons parlé continuent pourtant de se soumettre à une loi qui contredit leur mandat et nie le principe d’égalité qu’il contient pourtant.
Au même moment, nous avons aussi écrit à la première ministre, à la ministre de l’Éducation et à la ministre de l’Immigration pour les sommer d’agir rapidement pour la rentrée de 2013. Elles se sont dites « sensibles » à ces enjeux. Dans sa correspondance, le gouvernement a utilisé jusqu’ici un vocabulaire ambigu qui permettait de douter de sa volonté d’éliminer l’injustice qui affecte les sans-papiers. La périphrase employée, « migrants à statut d’immigration précaire », n’est aucunement l’équivalent administratif neutre de « sans-papiers ». Elle permet surtout de ne plus parler, en tout en ayant l’air de le faire, des personnes dépossédées de tout statut d’immigration, précaire ou non : les sans-papiers, ces personnes qui ont pour seule permanence une résidence invisible aux yeux des États et une absence de droit d’avoir des droits fondamentaux.
En juin 2013, sans dire quels enfants elle désignait ainsi, la ministre Marie Malavoy a reconnu publiquement qu’il était de son devoir et de sa responsabilité « d’agir rapidement pour que, dès la prochaine rentrée, ces enfants soient dans des salles de classe ». Deux mois plus tard, son ministère produisait un document d’information, non public, à l’intention des commissions scolaires. Ce document fait état de mesures visant principalement à « élargir les catégories d’élèves exemptés de la contribution financière » et à « clarifier et à adapter les règles relatives à l’obtention d’un code permanent ». En vertu de ces mesures, les enfants de certains migrants peuvent accéder gratuitement à la scolarisation, notamment les enfants pris en charge par un centre de santé et services sociaux ou les enfants de migrants sans permis de travail ou d’étude depuis moins d’un an, à condition de fournir des documents (certificat de naissance ou copie d’acte de naissance) devant être délivrés par le directeur de l’état civil.
Mais la somme de ces nouvelles catégories ne parvient pas à atteindre la totalité d’une réalité sociale correspondant au principe d’universalité. La loi discriminante reste toujours en place. Le ministère ne fait aucune mention des sans-papiers ne faisant pas partie des nouvelles « catégories d’élèves exemptés ». De plus, en lieu et place d’un flou administratif qui laissait un pouvoir discrétionnaire aux commissions scolaires, le ministère exige dorénavant d’une façon « clarifiée » que les commissions facturent l’inscription de chaque enfant sans papier, à raison de 5000-6000 $ annuels, des sommes que les familles sont souvent incapables de payer. En codifiant un tel obstacle financier ajouté à des obstacles administratifs, l’État québécois exclut, deux fois plutôt qu’une, nos concitoyens et concitoyennes du système d’éducation public. Du reste, les pratiques discrétionnaires continuent de favoriser ici et défavoriser là, arbitrairement, renforçant ainsi l’inégalité dans l’accès à la gratuité scolaire : on sait, par exemple, que la Commission scolaire de Montréal demande pour certains enfants (et pas pour d’autres) des exemptions des frais d’inscription pour « motif humanitaire ».
Nous avons dénoncé publiquement, devant les bureaux du ministère de l’Éducation notamment, un gouvernement à la fois incapable de justifier pourquoi il laisse se perpétrer une telle inégalité et très peu décidé à accorder un plein accès aux écoles primaires et secondaires à tous les enfants sans papiers. Le jour où nous occupions les bureaux de Marie Malavoy à Longueuil, le 10 décembre dernier, le ministère a annoncé publiquement que « des solutions [avaient] été trouvées […] dans toutes les situations problématiques portées à l’attention du Ministère ». Or nous étions là et sommes toujours là pour rappeler qu’il existe toujours des situations qui ne seront peut-être pas portées à l’attention du Ministère tant que ne seront pas éliminés les obstacles suivants :
1. l’incapacité de fournir les documents exigés pour l’inscription et l’octroi d’un code permanent, soit parce qu’on ne les possède pas ou parce que notre situation ne correspond pas aux « catégories d’élèves exemptés » — enfants de migrants sans permis de travail ou d’étude depuis plus d’un an, sans permis de séjour sur le territoire, sans certificat de sélection du Québec, etc. ;
2. l’incapacité de défrayer les frais d’inscription exorbitants pour chaque enfant ;
3. la dangerosité des risques associés à l’inscription des enfants et à la fréquentation des écoles. (Encore récemment, des parents se sont faits menacés par une employée d’une école montréalaise d’être dénoncés à Immigration Canada) ;
4. enfin, le manque d’informations dans la population, aussi bien au sein des écoles que chez les premiers touchés, soit les parents appartenant à l’une des nouvelles catégories ajoutées par le Ministère.
Endossez notre revendication !
Nous vous sommons, vous qui détenez désormais une part importante de pouvoir dans les affaires publiques de juridiction provinciale, d’exiger aussi que prenne fin cette discrimination systémique et que le droit à l’éducation pour tous, reconnu dans plusieurs chartes et conventions dont Québec est signataire, soit une réalité observable partout dans la société, y compris chez les sans-papiers. Endossez notre revendication exigeant de détacher purement et simplement l’accès à l’éducation et le statut d’immigration en permettant l’admission dans les écoles sur présentation d’une preuve de résidence sur le territoire.
Les injustices se perpétuent quand les décideurs ne savent pas se relever à la hauteur des responsabilités qui viennent avec le pouvoir qu’ils détiennent.